EP 064 – L’art de penser comme un propriétaire pour les DG
La dernière fois, j’ai eu une longue discussion avec un dirigeant qui m’expliquait que le BOARD lui avait demandé de réduire les frais généraux. Je lui ai tout de suite dit que le BOARD ne peut pas donner une instruction directe à un Directeur Général pour réduire les frais généraux. Le BOARD doit viser à atteindre trois ou quatre objectifs principaux :
- L’amélioration du chiffre d’affaires et du résultat net
- L’amélioration de la valeur de l’entreprise et des actions
- La pérennisation de la valeur perçue par les autres parties prenantes
Il est vrai que certains Conseils se substituent à un Directeur Général en lui disant « COMMENT » faire, alors qu’ils devraient le challenger sur des attentes claires. Les GAME CHANGERS ne tombent pas dans ce piège et savent ramener la discussion à l’attente ultime : voir l’organisation réaliser ses objectifs stratégiques.
« Hermann, il a été clairement demandé de réduire les frais généraux et de ramener le taux du coût d’acquisition en dessous de 35 % », a rétorqué mon interlocuteur. J’ai alors enchaîné : « Mais pour atteindre quel objectif stratégique ? ». Il a répondu : « Pour améliorer le résultat net ». En analysant les chiffres avec lui, je me suis rendu compte qu’ils avaient multiplié le résultat net par 2 de 2021 à 2022 et qu’à chaque fois que le chiffre d’affaires croît de 35 % en moyenne, ils sont en mesure de multiplier le résultat net par 2. Au moment où nous parlions, le résultat net représentait seulement 8,6 % du chiffre d’affaires (pour une attente de 10 %).
Nous avons affiné l’analyse et nous avons constaté qu’une croissance du chiffre d’affaires de 20 % ajoutait 4 points au ratio de rentabilité. La question à résoudre dès lors est de savoir comment augmenter le chiffre d’affaires d’au moins 20 % en gardant le taux de coût d’acquisition actuel, pour faire passer la rentabilité à 12 % du chiffre d’affaires, ce qui satisferait clairement le BOARD.
Il a repris : « Hermann, ce que tu m’expliques là est extraordinaire. Comment faire pour ne pas se faire taper dessus à la prochaine session du conseil à cause des frais généraux ? ». Je lui ai répondu : « D’abord, ce n’est pas le rôle du conseil de s’immiscer dans les détails de la réalisation des objectifs stratégiques. Ensuite, tu ne devrais pas piloter l’entreprise en fonction de la prochaine session du BOARD. »
Je lui ai ensuite dit que la question la plus importante à traiter pour lui devrait être : « Que veux-je faire de cette entreprise – au-delà des attentes du BOARD – et comment y parvenir ? ». Puis je lui ai demandé : « Quelles sont les cinq dernières actions que tu as entreprises, qui étaient contraires aux instructions directes du BOARD et qui ont amélioré les résultats ? ». Lorsqu’il me les a listées (jusqu’à 12), je lui ai dit : « Tu es en train de véritablement changer la donne de cette entreprise. Continue dans ce sens puisque les chiffres sont meilleurs depuis que tu as commencé à changer le jeu. N’est-ce pas ? ».
Les GAME CHANGERS savent ce que le Conseil d’Administration veut en dernier ressort et se concentrent à le délivrer. Ils ne pilotent pas en fonction de la prochaine session du conseil et n’ont même pas peur de se faire taper dessus. Ils s’assurent d’orchestrer l’entreprise pour réaliser plus que ce dont le Conseil d’Administration rêve pour l’entreprise.
En discutant avec un Directeur Régional d’un grand groupe bancaire, je lui ai demandé pourquoi la plupart des DG préfèrent piloter en fonction des instructions du Conseil d’Administration et des prochaines sessions du BOARD. Il m’a répondu : « Hermann, tu veux que je sois sincère avec toi ? (Je lui ai donné l’autorisation en disant « Vas-y, je t’écoute »). Pour toi qui es entrepreneur, les choses sont plus simples. Tu oublies que la plupart des DG ont un ‘EMPLOI À SAUVEGARDER’. Pourquoi espères-tu qu’ils fassent autrement que ce qui est immédiatement attendu par le Conseil d’Administration ? Ils risquent de se faire virer. J’ai été à leur place (et j’y suis toujours) donc je te dis que mon obsession, c’est de contenter le Conseil d’Administration ».
Je lui ai alors demandé : « On le fait au détriment du renforcement des bases de pérennisation du business ? ». Il a souri puis m’a dit : « En général, les bonus sont tellement attractifs que si tu peux réduire les charges et dégager du résultat net pour satisfaire les actionnaires, tu auras tes bonus et c’est bon pour la sérénité financière à la fin de carrière ».
J’ai fini par comprendre que ce n’est pas forcément mauvais. Il s’agit de servir aux actionnaires ce qu’ils veulent le plus : la rentabilité. Ils seront alors contents de demander qu’on distribue des bonus à tout le monde, à commencer par le Directeur Général. Pourquoi ferait-il autrement que ce que les membres du conseil lui ont demandé ? Ce sont eux qui valident le paiement de ses BONUS, non ?
Alors qu’un dirigeant avait réussi à déclarer 3 milliards de résultat net, il m’a dit : « Hermann, tu sais quoi, quand je fais le calcul, je me rends compte que je vais bientôt gagner plus d’argent qu’une bonne partie des actionnaires ». Comme je connaissais ses chiffres (le stock de créances était de 9 milliards, avec des risques de provisions de plus de 7 milliards), je ne lui ai rien dit.
Si l’on n’est pas un fossoyeur, on devrait rêver un peu plus pour l’organisation que l’on dirige. On devrait se demander : « Si j’étais un actionnaire majoritaire qui veut voir l’entreprise gagner de l’argent aujourd’hui, demain et sur la durée, qu’est-ce que je dois optimiser et développer pour y arriver ? ». Mon ami Directeur Régional a raison. Lorsqu’on craint de perdre son emploi à chaque session du CA (ce qui doit être intégré), on ne peut pas avoir la sérénité de se poser une telle question. Elle est trop sophistiquée et problématique.
Et pourtant, c’est ce genre de question que les GAME CHANGERS se posent pour penser et rêver plus grand que leurs actionnaires et investissements. Ils se posent les questions suivantes :
- Sur la base du potentiel du marché, quel est le niveau de retour sur investissement que je peux générer et que je dois m’imposer de générer même si les actionnaires n’en rêvent pas ?
- Sachant ce que je sais du potentiel du business, qu’est-ce que je devrais exiger en tant que personne, même si les actionnaires ne l’exigent pas ?
- Puisque je connais les conditions minimales à remplir pour atteindre les chiffres, qu’est-ce que je dois imposer et faire entendre à mes actionnaires et à mon conseil (en mettant mon mandat en jeu) pour atteindre ces chiffres ?
- Si je cède à la gourmandise ponctuelle et à court terme, quels sont les risques que je fais courir à l’entreprise et que je dois schématiser et expliquer au conseil et aux actionnaires ?
- Quelles sont les superficialités que la plupart de mes collègues dirigeants ont et qui coûtent plus cher à long terme au développement du business et que je dois éviter absolument?
En 1997, Jeff Bezos a envoyé une lettre à ses actionnaires dont j’ai pu obtenir copie. Voici ce qu’il disait en substance :
« Amazon.com a atteint plusieurs caps en 1997. Au 31 décembre, nous avons atteint plus de 1,5 million de clients avec une croissance du revenu de plus de 838 % pour passer à 147,8 millions de dollars et devenir numéro 1 malgré une concurrence rude. Nous avons l’opportunité de faire largement plus, mais cela nécessite des investissements et une mise en œuvre rigoureuse. C’est pourquoi nous devons nous orienter vers ce qui suit : ‘Voir le long terme, être obsédé par le client, renforcer l’infrastructure, prioriser l’épanouissement de nos équipes’. »
Et voilà, c’est tout ! Mais sa promesse à long terme a vu sa propre fortune passer de 12 milliards en 1997 à 130 milliards en 2017. Vous imaginez ce qui est arrivé à la fortune de ses actionnaires. En réalité, il leur a dit d’attendre 20 ans et qu’ils obtiendraient le meilleur retour sur investissement possible. Voilà !
Voilà ce qui arrive lorsqu’on rêve plus que les actionnaires, qu’on pense comme un propriétaire et qu’on s’attèle à développer l’entreprise sur la durée plutôt que récolter des primes, bonus et dividendes de court terme. Alors ? Quelle est votre option ?
On se retrouve lundi pour un nouveau numéro de votre Podcast The CEO Challenge Podcast.