EP 056 – Les indicateurs du pilotage constructif
Lorsqu’on est un dirigeant, il faut s’arrêter de temps en temps, pour se demander si, au-delà des exigences classiques du Conseil d’Administration, on fait le minimum pour laisser le business dans un état meilleur qu’on ne l’a trouvé. Si nous avons parlé précédemment du besoin de laisser un héritage managérial, je voulais revenir ici sur les 4 R du pilotage visionnaire et constructif. Avant d’en arriver là , je voulais partager une histoire avec vous.
Lorsque j’étais enfant, j’ai eu la chance d’avoir mon père qui était instituteur. J’avoue que cela m’a beaucoup inspiré et aidé dans l’optimisation de ma capacité à m’obliger à être constructif dans mon approche…Mon père était obsédé par l’idée de rendre meilleur chaque enfant qui passait dans sa classe…Il était ultra-exigeant et ne tolérait surtout pas qu’un élève fasse moins que ce dont il est réellement capable. J’ai eu la chance d’avoir été gardé par mon père lorsque j’étais en 3è année du primaire (ou encore Cours Elémentaire 1ere Année). Au cours d’un trimestre, alors que j’avais fini 1er exæquo, mon père m’avait chicoté pendant 1h devant toute la classe. Quelle était mon erreur ? « N’avoir pas réussi à avoir ne serait-ce qu’un demi-point en plus pour être premier sans exæquo ».
Ceux qui ont grandi dans les années 70, 80 et 90 ont certainement eu pour la plupart des parents aussi exigeants que mon Père. Je ne sais pas à quel point cela vous a fait du bien ou non…Mais cela a développé chez moi un sens de l’exigence et de l’amélioration continue qui me sert jusqu’à aujourd’hui. Une année, alors que le directeur d’une école d’un village voisin fit appel à mon père pour remplacer un instituteur qui était en invalidité (par alcoolisme) , j’entendis mon Père se plaindre auprès d’un autre de ses collègues : « Il a enterré les enfants ». Je resterai non loin pour continuer à écouter la conversation et ce que j’ai compris pour finir, c’est que l’instituteur en question avait laissé les enfants dans un état piteux…Leur niveau n’était certainement pas bon – selon mon père.
Mon père et son collègue se moquaient vraiment de lui et riaient avec des caricatures qui dans un premier temps m’indisposaient. Après un temps, j’avais commencé à avoir une sueur froide et mon rythme cardiaque semblait prendre une allure inhabituelle comme si mon père s’apprêtait à me chicoter – comme il en avait l’habitude à l’époque. Je m’en fuis dans la chambre…Lorsque je retrouvai mes esprits, je me suis mis à imaginer comment les gens se moqueraient de moi si on me confiait un travail ou une mission et que je n’arrivais pas à délivrer comme cela se devrait. J’avais 9 ans à l’époque et j’ai grandi avec cette pression constante de ne « jamais rien laisser dans un état piteux ».
Plus tard, lorsque je suis devenu Coach de Dirigeant, un DG me fit venir dans son bureau et me dit : « Hermann, je voulais te dire Merci parce qu’à plusieurs reprises, depuis que ton équipe et toi travaillez avec nous, j’ai l’impression vous étiez plus déterminés à transformer l’entreprise que nous. Merci pour ton engagement ».
Je lui avais répondu que j’étais heureux de savoir qu’il appréciait notre apport et que nous allions continuer dans le même sens. Je l’avais remercié de nous avoir donné la chance d’apporter notre contribution. Mais au fond de moi, je savais que tout le stress que je me créais était essentiellement lié au fait que mon Père me dit un jour : « Si on te confie une maison à garder, assure-toi de toujours la tenir dans un état meilleur que celui dans lequel on te l’a laissée ».
Je ne sais pas ce que cette histoire vous inspire mais pour ce qui me concerne, elle me permet (surtout que c’est moi qui l’ai vécue) de m’obliger mentalement à ajouter grandement et abondamment de la valeur à quiconque entre en relation avec moi. Lorsque je démarre une session de formation ou de coaching, je suis constamment animé par une obsession : « Comment rendre mon audience ou mon coaché meilleur en moins de 30 minutes ». Si vous suivez ce podcast depuis un moment, vous m’aurez certainement entendu à plusieurs reprises parler des exigences de création de valeur, de performance et d’excellence qu’un dirigeant devrait avoir lorsqu’il est à la tête d’une organisation.
Un jour, alors qu’un jeune Manager Général venait d’être nommé à la tête d’un hôtel, il me fit appel – sur la recommandation d’un ami commun à nous deux – pour l’aider à structurer sa vision. Après l’avoir écouté pendant plusieurs heures, je lui ai demandé ce que le Conseil d’Administration attendait de lui. Nous avons travaillé sur les valeurs ajoutées qu’il souhaitait apporter.
Lors d’une session déterminante que nous avons pu avoir, je lui ai proposé – après avoir réfléchi sur ses enjeux pendant plusieurs jours– la Matrice des 4R pour piloter efficacement une organisation et surtout avec l’obsession de la laisser dans un état largement meilleur qu’on ne l’a trouvé. Je vous présente ici les 4R en question. Chaque R est formulé en question. Pour vous permettre de savoir répondre aux questions, je vous propose à chaque fois un exemple de réponse. Vous pouvez partir de là pour alimenter le modèle de Matrice que je vous propose dans la suite.
1.RETOUR SUR INVESTISSEMENT (REMBOURSEMENT DE DETTES)
Le retour sur investissement (et la capacité à rembourser les dettes ou bonifier les actionnaires) est l’effort et la concentration N°1 qu’un dirigeant doit avoir…Pour ce faire, il doit répondre à la question suivante : « Arrivons-nous à générer suffisamment de revenu pour rembourser les dettes d’investissement (crédit bancaire) et répondre au besoin de retour sur investissement pour nos actionnaires ? »
EXEMPLE DE REPONSE :
Nous ne générons pas assez d’excèdent d’exploitation du fait que la marge brute est très faible et trop juste par rapport à nos charges de fonctionnement. Voici ce que nous devons faire rapidement :
- Améliorer le volume vendu pour améliorer la marge brute
- Augmenter de 12% le prix là où vous avez des niches contrôlées
- Offrir des services supplémentaires facturés pour une valeur ajoutée additionnelle de 15%
2.REPARATION
La réparation ne concerne pas seulement le bâtiment. Il concerne aussi et surtout l’infrastructure, les systèmes de production de résultat ou de distribution et les hommes. Le dirigeant doit assurer les surveillances, les entretiens et réparations / maintenances nécessaires pour les garder en état d’assurer la performance. Il le fera en traitant la question suivante : « Arrivons-nous à générer suffisamment de revenu (avec un plan rigoureux) pour faire les réparations, les mises en l’état et remplacements ponctuels et continus ? ».
EXEMPLE DE REPONSE :
Nous n’avons pas un plan d’entretien et de maintien / maintenance de l’état d’esprit adéquat, de l’engagement des équipes, de la qualité de l’outil, des installations, et de l’infrastructure. Voici ce que nous devons faire rapidement :
- Elaborer un politique et un plan de maintenance pour les équipements, les hommes, les relations, les compétences ;
- Consacrer 5% de la marge brute à la maintenance et maintien du niveau de capacité
- Diminuer de 15% les dépenses de prestige pour consacrer les économies à la maintenance
3.RENOVATION :
Parce que j’ai créé la matrice sur la base de la gestion d’un réceptif hôtelier, vous comprenez que pour être performant, un hôtel doit être rénové régulièrement. Mais la même chose est vraie pour toute entreprise. Le dirigeant doit avoir un plan de rénovation constante pour ce qui concerne le système d’information (upgrading), les infrastructures, les méthodes de travail, la qualité et la quantité des effectifs, les capacités opérationnelles et financières, commerciales et technologiques. Il le fera en traitant et en répondant à la question suivante : « Arrivons-nous à générer suffisamment de revenu (avec un plan) POUR RENOVER & OPTIMISER le positionnement et les capacités de l’entreprise ? »
EXEMPLE DE REPONSE :
Le plan d’amortissement et de remplacement n’est pas suivi ; le matériel et les équipements sont vétustes ; le plan d’innovation n’évolue pas aussi rapidement que le marché nous y oblige. Nous avons du mal à attirer de nouveaux talents et à combler les départs et les vacances de postes. Nous devons donc rapidement :
- Consacrer 10% du Résultat Net à l’optimisation continue ;
- Créer des offres premium et consacrer 25% de la marge à la rénovation
- Benchmarker pour rattraper les retards et accélérer la remise à niveau
- S’assurer d’anticiper sur les pertes de revenu liées à des fermetures pour RENOVATION
4.RECONSTRUCTION
Quelqu’un m’a demandé un jour à quoi un dirigeant (entrepreneur) devrait s’attendre le plus…Je lui ai répondu : « Être prêt à recommencer à ZERO à chaque fois s’il le faut ». L’idée de tout perdre ne devrait pas poser de défi à un dirigeant. Au contraire, il doit se poser constamment la question de la capacité de reconstruction : « Arrivons-vous à générer suffisamment de revenu et développer des capacités pour au besoin reconstruire et/ou agrandir les capacités, nous REGENERER, NOUS REVITALISER, INNOVER et nous ACTUALISER, faire carrément d’autres choses pour rester pertinent et dominant sur nos marchés ? ».
EXEMPLE DE REPONSE :
Nous ne sommes pas en mesure de financer une nouvelle chaîne de production ou une nouvelle technologie aujourd’hui pour avoir de l’avance sur nos concurrents et d’ailleurs ils commencent par nous battre dans ce domaine. Nous devons donc rapidement :
- Avoir un nouveau plan d’innovation aligné sur les avancées
- Préparer une levée de fonds avec un nouveau business plan
- Sursoir à la distribution de dividendes pour financer le développement futur
Je suis d’accord que ce n’est pas toujours évident de se poser ces questions. Mais en réalité, vous ne pouvez pas dire que vous pilotez efficacement une organisation si vous ne vous arrêtez pas de temps en temps pour traiter ces questions. Du moins, ce sont les vrais indicateurs de pilotage constructif…J’espère que vous allez vous y mettre ?
On se parle demain pour un nouveau numéro de votre podcast THE CEO CHALLENGE PODCAST…